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Vous savez que j’ai acheté le petit dans un point relay de l’aéroport de Montpellier en direction de Brest ? Et que ladite affaire se déroule en Loire-Atlantique, c’est-à-dire pas le département de Brest, mais pas très loin quand même ? Je force les coïncidences, je sais.
La quatrième de couverture
Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais a été enlevée à 50 mètres de chez elle, avant d’être poignardée et étranglée. Il a fallu des semaines pour retrouver son corps. Elle avait 18 ans.
Ce fait divers s’est transformé en affaire d’État : Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a reproché aux juges de ne pas avoir assuré le suivi du « présumé coupable », précipitant 8 000 magistrats dans la rue.
Ivan Jablonka a rencontré les proches de la jeune fille et les acteurs de l’enquête, avant d’assister au procès du meurtrier en 2015. Il a étudié le fait divers comme un objet d’histoire, et la vie de Laëtitia comme un fait social. Car, dès sa plus jeune enfance, Laëtitia a été maltraitée, accoutumée à vivre dans la peur, et ce parcours de violences éclaire à la fois sa fin tragique et notre société tout entière : un monde où les femmes se font harceler, frapper, violer, tuer.
« Laëtitia Perrais a été enlevée dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011. C’était une serveuse de dix-huit ans domiciliée à Pornic, en Loire-Atlantique. »
Mon avis
400 pages bien plus denses qu’elles laisseraient croire. Cette densité m’a ravie, car de base, les faits divers, c’est vraiment pas mon truc. Je regarde jamais les « Faites entrer l’accusé », et autres témoignages glaçants sur ce genre d’affaire. Ce n’est pas un désintérêt, plutôt un intérêt cantonné : je prend l’information quant à l’évènement, et si je dois creuser le passé, la vie d’un des personnages principaux, ce sera celle de l’auteur des faits et non de sa victime. Pour comprendre ce qui a pu amener au crime. Donc ce livre n’aurait pas du faire partie de mes envies. Mais grâce à bookstagram, j’ai changé d’avis. Mes envies n’ont pas changé en revanche : j’ai choisi de le lire essentiellement pour la partie politico-judiciaire que l’affaire a mis en lumière. Et vous savez quoi ? J’y ai trouvé bien plus.
Le sentiment qui me reste en refermant l’ouvrage de Ivan Jablonka, c’est la richesse de ses réflexions si variées. Il arrive à débattre sur tout, un peu partout. Chaque nouveau chapitre est une petite surprise : « quel sujet va-t-il mettre en lumière cette fois ? ». Ca peut paraitre un peu déstructuré, mais ça n’en a rendu ma lecture que plus fluide. Ce n’était jamais barbant, jamais lourd. Et parmi tous les débats qu’il lance au lecteur, le seul véritable jugement qu’il émet, est à son encontre. Lorsqu’il finit par remettre en question sa légitimité à écrire ce livre sur Laëtitia, se voyant à son tour auteur d’une violence contre cette victime qui n’a jamais rien demandé à personne. (Bon, c’est vrai qu’il accuse aussi le gouvernement en place à l’époque quant à ses actions et réactions, mais en même temps, il serait difficile de donner tort à l’auteur ici…)
Le problème, c’est que forcément, ce sont les débats avec lesquels je suis d’accord DE BASE, où je m’enflamme le plus. Le passage sur les manques de moyens de la justice, vous m’auriez vu, une vraie furie avec mon critérium entre les mains : et que ça gribouille des oui ! oui !, et que ça corne les pages à tout bout de champ… (avant de me sermonner sur ces actes de vandalisme, retourner voir plus attentivement l’état de mon livre sur la photo. Voyez ? Je n’étais plus à ça près).
Quoique, les trois lettres le plus souvent inscrites dans la marge de mon livre, au crayon sont plus précisément : WTF. Bien souvent accompagné de leurs trois sigles BFF : « ??! » Notamment quand je lis que Laëtitia est née gauchère, et qu’on lui attachait la main pour qu’elle n’utilise que la droite. Sauf qu’elle est née en 1992, pas en 50. Non pas que ce soit le passage le plus aberrant que j’ai pu lire, puisqu’il s’agit, pour rappel, d’un bouquin retraçant un fait divers morbide. Mais ça m’a marquée.
Quoi d’autre ? Ah oui : « Or, si elle ne débouche pas sur la rengaine du « délinquant sexuel multirécidiviste », l’affaire Laëtitia n’est pas utilisable politiquement. » La politisation d’une affaire. C’est quelque chose. Ca commence par une médiatisation, que l’on ne saurait reprocher, le journaliste a pour objectif premier d’informer. Mais la société n’est pas faite d’individus froids : l’émotion la gagne, et c’est là qu’intervient la (et le) politique. De manière trop précipitée, et surtout démagogique. Je ne compte pas atténuer la monstruosité des actes reprochés à Meilhon. Je tiens seulement à signaler que ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’instrumentalisation du fait divers par la politique. Parce que ça fait mieux que le coupable soit un violeur. Parce que ça le fait mieux que les juges lui aient octroyé une remise de peine. Parce que c’est mieux de façonner la vérité pour qu’elle abonde dans notre sens et nous mette en lumière comme le dernier sauveur. Quelque part, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Billy Milligan.
Et puis, certains passages m’ont mis dans une posture plus délicate, ne sachant plus trop quoi défendre dans mon for intérieur. Je ne savais pas pour qui j’étais autorisée à éprouver de la compassion. Je vais être honnête, Franck Perrais m’a déchiré le cœur à plusieurs reprises. Ce même père biologique qui a été condamné pour le viol de sa femme, qui a eu plus d’une fois un comportement brutal envers sa famille. Il est en grande partie responsable de l’état psychologique fragile de la mère des jumelles. Mais son combat pour ses filles par la suite m’a touchée, je l’ai trouvé maladroit mais plein de bonne volonté. Et je m’en sentais coupable, et ensuite je m’en suis voulu de m’en sentir coupable. Car s’il y a bien une chose en laquelle j’ai toujours voulu croire, c’est qu’on peut vouloir être meilleur. Ca n’annule pas nos méfaits du passé, mais on mérite d’être encouragé lorsqu’on fait enfin les bons choix. Cet encouragement-là, je pense que Franck Perrais aura eu l’impression qu’on le lui refuse, lorsque ses filles lui sont retirées au moment où il avait enfin un travail, un toit, un foyer à leur offrir. Un foyer oui, mais encore trop instable et trop peu encadré. Et comme si ce coup-là ne suffisait pas, il sera systématiquement discrédité par la famille d’accueil des filles, jusque dans les hommages pour Laëtitia. La lumière ne sera que pour ce bon vieux Mr Patron, le type à gerber (ouais, mon côté « nous devons croire au bon dans chaque homme » présente quelques limites. Faut dire que pour lui, j’ai environs 86 raisons par page de vouloir le dézinguer par écrit, vous verrez).
Mais personne ne vous brisera davantage le cœur que Jessica, la sœur jumelle, celle qui reste comme on dit. On se demande comment elle réussit encore à tenir debout d’ailleurs, tout son monde s’écroule, et on sa famille d’accueil la pointe comme coupable alors qu’elle admet enfin les abus sexuels de M. Patron à son encontre. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle ne lui en veut même pas, elle voulait même se faire adopter par eux. Comme si tout ceci n’était que le prix à payer pour pouvoir enfin évoluer dans un foyer stable. On ne se rend pas suffisamment compte à quel point on (et par ce ‘on’, j’entends en premier lieu ‘moi’) être né du bon côté de la vie. Juste ça.
Sans transition aucune, je vais aborder ce qui m’a dérangée dans un tout autre sens, genre dérangée « Ah. Moi j’aurais pas fait comme ça ». Donc sachez que j’ai été un poil gênée par l’emploi des hyperboles pour décrire Laëtitia. Pourquoi vouloir en faire une sur-femme ? Cette glorification a tout prix me dérange. Ca rejoint clairement ce qui était dénoncé plus haut, instrumentaliser l’image de la victime. Que Laëtitia ait eu ses faiblesses et des défauts (comme l’infidélité par exemple) en fait une femme comme une autre, et c’est bien. Elle ne prétendait à rien de plus. Présenter les individus comme des sur-hommes ou sur-femmes est quelque chose de malsain, et risque de faire peser sur ce qui se sentent juste normal, une pression dont on se serait bien passé
En fait, tous les chapitres trop axés sur Laëtitia m’ont un peu laissée dubitative. Personne ne peut parler à sa place. Je n’identifie pas le but de la démarche : son caractère n’a aucune cause ou lien avec le meurtre dont elle fut victime. Il n’y a pas d’intérêt de recherche social, à mes yeux, de nous dire combien elle était heureuse et méritait de vivre. On le savait dès le départ : c’est la définition même de la victime.
Bref ! Je suis étonnée de voir à quel point je me suis passionnée pour une affaire dont je ne me souviens pas du tout au moment elle a eu lieu (j’avais 15 ans, et chez mes parents, on dinait toujours devant le JT de TF1, je doute d’avoir pu manquer la nouvelle. Mais faut croire qu’à 15 ans je devais avoir des préoccupations hautement plus importantes en tête (c’est faux)).
Ce que j’ai aimé relever
Le passé terrible de Laëtitia, témoin de violences intrafamiliales, en a fait une femme effacée. Comme si cela coulait de source. Comme si les filles devaient devenir l’ombre d’elle-même pendant que les garçons deviendront à leur tour, bourreaux.
Un passage fait un point sur une autre affaire de meurtre, où le mari (qui se révèlera être le meurtrier) organise l’enterrement de sa défunte épouse. Elle porte sa robe de mariée dans le cercueil. Coucou les noces funèbres. Glauquissime. Note à moi-même : préciser dans mon testament mon refus catégorique qu’on me foute ma robe de mariée à mes funérailles. Dans l’hypothèse où je me sois mariée. Et dans celle où je ne choisis pas de me faire incinérer. Elle est si gaie, cette chronique.
Maladresse frappante de l’auteur : « Tony Meilhon, c’est Franck Perrais jeune ». Je vois bien ce qu’il entend par là, dans son développement. Mais faut bien avouer que c’était assez violent, enfin, moi si je suis Franck Perrais, c’est clairement pas le genre de comparaison qui me ferait sauter de joie. Moi, et le violeur de ma fille. Qui dit mieux ?
« M. Patron demande qu’on envoie aux parents d’élèves un courrier pour que les jeunes filles viennent au lycée dans des tenues décentes ». Le rapport avec la disparition de Laëtitia, tu m’expliques ? Face au prédateurs sexuels, habillez davantage vos filles, c’est CA le message ? Ou alors pire, c’est un message à visée personnelle, une sorte d’aveu caché de sa part, lui qui ne résiste pas à glisser sa main dans les sous-vêtements des filles mineurs.
Quelques citations
« Dire de sa vie qu’elle est un champ de ruines serait inexact, car, pour avoir des ruines, il faut d’abord construire quelque chose. Or Laëtitia n’a rien pu construire : on l’en a systématiquement empêchée. »
« Un fait divers suppose un coupable. Un fait divers horrible exige un monstre. Un monstre doit être enfermé. Ce simplisme d’analyse traduit un mouvement de fond dans notre société : la nécessité d’assigner à tout crime, à tout accident, à toute maladie, un responsable sur lequel dériver sa colère. La flétrissure du coupable va avec l’élévation de sa victime : elle est d’autant plus innocente qu’il est abject. »
« Mais ces évolutions s’accompagnent aussi d’un durcissement de la politique pénale, qui consiste à privilégier le tout-carcéral, à l’intention des seuls illégalismes populaires. Qui sait si, dans ces dépotoirs humains, on ne fabrique pas de nouveaux Meilhon ? »
•Mon plaisir de lecture 8,5/10•
Je voulais le lire à sa sortie mais finalement pas encore fait, je me le renote ! 🙂
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