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J’ai reçu ce joli pavé de 600 pages dans une box littéraire. J’avais communiqué une liste des thèmes que j’aimais retrouver dans mes lectures, d’un éclectisme à faire pâlir les plus grands athlètes (la réf ici). Et dedans, y’avait les personnages avec des troubles du spectre autistique. Quand m’est arrivé le roman entre les mains, la quatrième de couverture m’a laissée sceptique, et au final, c’est le bouquin que j’ai délaissé. Cette histoire de suspect idéal, ça m’a refroidie : j’avais pas envie d’un policier pour ce thème de lecture. Heureusement, l’enquête c’est certes tout, mais c’est surtout le décor. Laissez-moi vous expliquer.
La quatrième de couverture
Quand votre fils ne vous regarde jamais dans les yeux… comment savoir s’il est coupable ?
Adolescent atteint du syndrome d’Asperger, Jacob Hunt ne se passionne que pour la criminologie. Lorsqu’un assassinat se produit dans le quartier, il devient le suspect idéal.
Enfermé dans sa bulle, Jacob est incapable de se défendre. Sa mère et son frère décident alors de se battre face à l’intolérance et l’incompréhension qui ont toujours menacé leur famille.
Chaque enfant a deux visages.
« Partout où je regarde, des signes de lutte. Le courrier éparpillé sur le sol de la cuisine, les tabourets renversés. »
Mon avis
En fait, cet incipit aurait du me mettre la puce à l’oreille. La scène de crime comme décor.
Si vous me demandiez ce que j’ai pensé de l’enquête policière, je vous répondrai « mbof ». J’avais une idée de ce qui s’était réellement passé, je trouvais de grosses incohérences sur la façon dont l’entourage de Jacob réagissait face aux indices qui l’accusaient. Personne ne lui demandait franco ce qui s’était réellement passé, ce jour là, dans cette salle de bain.
En revanche, si vous me demandez ce que j’ai pensé des personnages, de leurs relations, alors là, je ne pourrai vous répondre autre chose que « lisez, et voyez par vous-même ». C’est un roman pétri d’humanité. Chacun des personnages de cette famille m’a profondément touchée. En premier lieu, forcément, Jacob, ce grand garçon de dix-huit ans, diagnostiqué Asperger. Bon, je ne me prononcerai pas sur les petits passages concernant le pourquoi du comment s’est développé son syndrome. Une histoire de vaccin, dont je me fiche pas mal, surtout dans notre contexte pandémique actuel, merci bien. Certains chapitres mettent en lumière Jacob comme narrateur. Je suis consciente que c’est de la fiction, et je ne peux pas vous dire que l’autrice est super douée pour se mettre à la place de Jacob, parce que personne appart un Asperger ne peut savoir ce que ressens un Asperger. Mais j’ai aimé la façon dont elle a présenté Jacob. Proche ou non de la vérité, je me suis prise au jeu, et j’ai été touchée. Il est surprenant. Du début, jusqu’à la fin.
Ensuite, Emma, la mère de Jacob. Une mère dévouée, célibataire, incroyable. Mais qui, Dieu sait pourquoi, ne va jamais demandé à son fils ce qui s’est réellement passé dans cette salle de bain. C’est quand même fou ça. Jacob ne sait pas mentir, c’est une facette des Asperger. Alors, l’histoire de nous dire qu’Emma ne lui demande pas, car elle a peur de la réponse, et qu’elle a peur que cela porte préjudice à son fils le jour où il lui faudra témoigner, franchement, j’y ai pas cru. Aucune mère ne peut décemment vivre en ne sachant pas. Elle peut très bien ne pas douter de son innocence, parce que c’est son fils et qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, il n’empêche qu’elle voudra savoir, ne serait-ce que pour connaître la vérité et la défendre, et défendre son fils, par la même occasion.
Enfin, Théo. Le fils cadet, de 15 ans, qui se cherche désespérément une place dans cette famille si particulière. Je crois qu’il a été mon plus grand crève-cœur. Et aussi, celui qui a été le plus honnête et vrai avec Jacob, dans le bon, comme dans le mauvais. Leur relation est distendue, mais elle a le mérite d’exister.
Faut savoir qu’il y a deux autres narrateurs encore : Oliver, l’avocat imposteur, et Rich, l’enquêteur que-tu-sais-pas-quoi-penser-de-lui. On s’en serait passé. Des deux. Oliver était sûrement là pour ajouter une pointe d’humour, voire d’amour (on se serait, là encore, passé des deux). J’ai cru voir une lueur d’espoir, lorsque Oliver et Jacob ont formé un duo pour palier l’incompétence en droit pénal de Oliver, mais ça n’a duré que trois lignes de dialogue. Quant à Rich, eh bien… Il se fera vite oublié.
Tout le long, on suit l’enquête, le procès, mais comme je vous l’ai dit peut-être trop de fois déjà, pour moi, ce n’était qu’une scène. Le vrai spectacle, c’était Jacob, Théo et Emma. A eux, je tire mon chapeau. Et pour eux, je vous conseille de lire ce roman. Bon, à cause d’eux aussi, j’ai trouvé que cette fin me laissait sur ma faim (la rime pauvre ne m’enchantait pas plus que vous, mais maintenant elle est là). J’aurai aimé savoir ce qu’il advenait de chacun. Il est possible que je ne voulais juste pas les quitter.
Ce que j’ai aimé relever
On en apprend énormément sur le quotidien d’un Asperger, et surtout sur celui de son entourage. Des choses scientifiques, des choses tristes, des choses belles. Je n’ai pas la place, ni la foi, de tout retranscrire ici, mais je me garde bien précieusement toutes les pages qui sont des mines d’informations.
On part sur une anecdote 100% familiale, de ma propre famille. Mais comme je sais qu’il arrive à mes parents de trainer leurs guêtres sur ce blog, j’ai espoir qu’ils tombent sur ceci. Jacob a besoin d’une routine très précise pour, pour ne pas être contrarié. Ainsi, chaque jour de la semaine est attribué d’une couleur, avec laquelle il s’habille, et qui composera le contenu de son assiette. Et il se trouve que le vendredi, c’est bleu. Ca m’a grandement fait sourire. Pour les non-initiés (c’est-à-dire ceux qui ne font pas partie de ma famille nucléaire, et j’espère que vous êtes majoritaire à lire mes chroniques), la petite histoire est la suivante. Mes parents discutaient avec ma soeur à côté. Elle avait cet âge merveilleux où l’enfant ne cesse de poser des questions idiotes et/ou pénibles. Dans leur conversation, elle intercepte un mot : vendredi. « C’est quoi vendredi ? » (et là vous comprenez très bien à quel genre de questions idiotes et/ou pénibles je fais allusion). Tardant à trouver une explication adaptée à une enfant de cet âge, ma sœur devance mes parents et renchérit de la manière suivante : « ça pique ? ». Ce à quoi mon père a répondu du tac au tac « Non, c’est bleu ». Depuis, chez nous, les vendredis sont bleu.
Quelques citations
◊ Je me suis inscrit en fac de droit, pour la même raison que tous ceux qui s’inscrivent en fac de droit : parce que je ne savais pas quoi faire d’autre.
◊ Quand quelqu’un meurt, c’est un peu comme lorsqu’on perd une dent. Votre langue n’arrête pas de titiller le trou dans la gencive, où les nerfs sont encore à vif.
◊ Le problème, c’est que je ne me rappelle plus comment j’étais sans Asperger ; donc je ne peux pas savoir ce qui resterait. Je suis un peu comme un sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture qu’on aurait ouvert en deux. On ne peut pas enlever le beurre de cacahuètes sans enlever un peu de confiture aussi. […] Je ne voudrais pas de confiture sans beurre de cacahuètes, mais des fois je regrette de ne pas être un sandwich au jambon, que la plupart des gens préfèrent.
◊ Chez le Dr Moon aussi, on entre par une porte et on sort par une autre, afin que les gens dans la salle d’attente ne nous voient pas. Question de confidentialité, je sais, mais je trouve débile que les psychiatres entretiennent eux-mêmes l’idée que la psychiatrie est quelque chose qu’il faut cacher.
◊ Le jury est constitué de douze personnes qui, après avoir entendu les témoignages et les plaidoiries, se retirent dans une pièce où personne ne peut les voir ni les entendre, et ils décident de l’issue de l’affaire. Normalement, le jury se compose de douze pairs. Dans mon cas, il faudrait qu’ils aient tous le syndrome Asperger.
◊ Pour votre gouverne, sachez toutefois que « normal », pour moi, n’est qu’un degré de chaleur du sèche cheveux.
◊ Je n’ai jamais voulu qu’on me plaigne. C’est moi qui plains les mères qui n’aiment leur enfant que 80% du temps, peut-être moins, au lieu de leur consacrer chaque minute de chacune de leurs journées.
◊ En gros, le cerveau d’une personne amoureuse ne fonctionne pas comme celui d’une personne en proie à de profondes émotions. Il fonctionne comme celui de quelqu’un qui a sniffé de la coke.
◊ Si ça se trouve, le syndrome d’Asperger n’existe pas. Tu deviens juste comme ça, peut-être, quand tu ne trouves pas ta place dans le monde.
◊ _ J’aurais dû être à tes côtés pour t’aider durant tous les moments difficiles. _ C’est là toute la différence entre nous. J’aurais aimé que tu sois là dans les bons moments.
◊ Comme dans son enfance, je lui dépose un baiser sur le front. Un geste ancestral, que les mères accomplissent depuis la nuit des temps pour mesurer la fièvre, donner une bénédiction, souhaiter une bonne nuit. Pourquoi alors ai-je le sentiment de lui dire au revoir ?
• Plaisir de lecture : 9/10 •
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