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Commencer l’année avec un de mes plus récents achats, c’est ne pas trop se mouiller : l’envie est forcément encore très présente de lire ce bouquin. Mais en plus, lire à nouveau un essai de Daniel Pennac, c’était partir vraiment très sereine. Je l’assume, j’ai jamais été de nature casse-cou, c’est pas en 2023 que les choses vont changer !
La quatrième de couverture
Chagrin d’école, dans la lignée de Comme un roman, aborde la question de l’école du point de vue de l’élève, et en l’occurrence du mauvais élève. Daniel Pennac, ancien cancre lui-même, étudie cette figure du folklore populaire en lui donnant ses lettres de noblesse, en lui restituant aussi son poids d’angoisse et de douleur.
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« Commençons par l’épilogue : Maman, quasi centenaire, regardant un film sur un auteur qu’elle connaît bien. »
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Mon avis
J’éprouve une réelle admiration pour le métier d’instituteur (ou prof, je sais jamais ce qu’il faut dire au gré des réformes). Bref, le corps enseignant. Enfin non, pas vraiment, c’est vraiment l’image du métier de prof. Elle me fascine, car j’ai une profonde foi envers l’école de la République et ce qu’elle peut apporter à tous ces enfants, adultes en devenir. Je pense qu’elle joue un rôle primordial, et Daniel Pennac me l’a prouvé tout au long de son écrit. Elle l’a sauvé lui, bien que ce fut une période très compliquée pour Pennac, le cancre, mais il a à son tour probablement sauvé plus d’un de ses élèves.
Ce dévouement, c’est quelque chose. Bien sûr que ce n’est peut-être pas la majorité des profs qui ont fait autant que lui, d’abord parce que certains n’ont peut-être jamais pu, faute de moyens et de temps, et d’autres n’ont jamais recherché un tel objectif. Mais comme disent nos parents quand on leur annonce avoir planté notre contrôle : « je m’en fous des autres ! ».
Je suis fascinée par ce métier peut-être aussi pour la raison suivante : j’en serai tout bonnement incapable. Le fait d’enseigner aurait pu me plaire, me retrouver face à une vingtaine, voire plutôt trentaine de marmots, c’était voué à l’échec. J’ai un mal fou à savoir comment me comporter face à un enfant, il n’y a rien de plus déstabilisant que leur spontanéité.
Je m’égare presque du sujet. Le cancre. Le choix du mot n’est pas de moi, mais bien de l’auteur. Je le trouve ainsi bien moins accablant, plutôt comme une sorte de constat en fait. Triste constat, car le cancre est celui qui souffre le plus. Deux fois plus pour être précise : il souffre de ne pas réussir et de se le voir reprocher par la société. Et le sujet m’intrigue, me fascine presque, moi l’élève qui a toujours eu des facilités écœurantes. Certes, la facilité a ses limites (coucou le concours raté de la magistrature), mais elle évite bien des soucis. Alors, j’ai eu encore plus envie de comprendre ceux qui n’en avait pas. Je pensais naïvement que Daniel Pennac m’exposerait son expérience avec des cancres, et j’ai eu mieux en découvrant son expérience en tant que cancre également.
J’y ai appris sa vision du pensionnat, dans lequel il a fini par atterrir au collège. Ni tout blanc ni tout noir, j’ai apprécié cette temporalité qu’il y expose : il y a un temps pour l’école, et un temps pour la famille. Suffisamment distincts (5 jours non stop au pensionnat pour 2 jours au sein de la famille) pour que l’enfant puisse enfin souffler un peu, ne plus avoir à rendre de comptes le soir à l’une, la famille, et le matin à l’autre, l’école. Désormais, pas de surprise le matin : les devoirs ont été faits la veille à l’étude, inutile d’inventer un bobard pour travail non rendu. Pareillement, l’enfant évite l’inlassable question sur sa journée d’école, sur les notes ramenées. Se cantonner au vendredi soir est suffisant.
Et puis, il expose d’autres choses, qui une fois sous mes yeux, me semblent d’une évidence sans nom. Ne pas donner de note à une réponse absurde de l’élève interrogé. Cette réponse absurde qui est surtout balancée pour que le professeur passe à autre chose. Lui foute la paix. Un zéro attendu par l’enfant, mais qui n’est porteur d’aucun sens. La réponse absurde ne naît d’aucun raisonnement, il n’y a donc aucun raisonnement à déconstruire, donc rien à noter. Elémentaire, n’est-ce pas ?
Vous savez ce qu’il y a d’encore plus élémentaire ? Tenez-vous bien, vous n’allez pas en revenir. Ce qu’on appelle « élève normal » est à l’opposé de ce que la logique de l’enseignement voudrait être un enfant normal. L’enfant normal, ce devrait être le cancre, « celui qui justifie pleinement la fonction de professeur puisque nous avons tout à lui apprendre ! » . Je ne vois pas quoi ajouter de plus, les mots de l’auteur se suffisent à eux-mêmes. Mais je ne vais pas m’arrêter là, parce que Daniel Pennac lui-même va plus loin, en affirmant que l’enfant « normal », qu’il appelle de son côté l’enfant « friandise », lui permettant un peu de répit dans sa mission d’enseignement, un peu de bonheur rapidement consommé, cet enfant-là n’est pas pour autant réduit à un sujet méritant moins d’attention. Il est conscient que celui-ci souffrira de ses propres tourments, ne pas décevoir, être moqué. Monsieur Pennac, le professeur de tous les élèves, vous l’aurez compris, je suis conquise.
Et plus tard, il mettra le doigt sur ce qui fait particulièrement défaut au corps enseignant, et attention, la tournure de phrase n’est pas simple, en tous cas, elle m’a demandé plusieurs relectures avant de pousser un sonore « mais oui ! » : « Le gros handicap des professeurs tiendrait dans leur incapacité à s’imaginer ne sachant pas ce qu’ils savent ». Le cancre intérieur de l’auteur le lui dit clairement, ce qui manque au professeur, ce sont des cours d’ignorance, leur permettant de concevoir l’état de celui qui ignore. Pour mieux le guider. Est-ce que ça aussi, c’est pas super évident mais on n’y avait pas pour autant pensé ?!
Je suis bavarde, il s’agirait de clôturer mon propos. Propos qui n’est que pur paraphrase de cet essai, autant que vous le lisiez directement en fait.
Sachez que, au début de ma chronique, je pensais sincèrement que je conclurai en adressant quelques mots à Monsieur Pennac, en lui disant ô combien j’aurai aimé l’avoir un jour comme professeur. Mais avec du recul, je crois que non. Je crois que je conclurai simplement en souhaitant aussi fort que possible qu’il ait croisé la route des élèves qui en avait le besoin, d’élèves pour qui ce n’était pas seulement un luxe de le rencontrer, mais une véritable nécessité.
e.
Ce que j’ai aimé relever
Son cancre intérieur. Cette petite voix qui réapparait ponctuellement, au fur et à mesure de la rédaction de son essai. Cette voix qui le fait douter, se remettre en question. J’ai trouvé ça touchant, et particulièrement admirable.
Ce que je vais dire n’a RIEN à faire dans cette catégorie car : 1. c’est un élément un peu central de l’essai et donc pas vraiment anodin ; 2. j’ai pas aimé relever cette chose, au contraire. C’est le point qui m’a dérangé dans l’essai, mais je voulais en faire une éloge stricte donc j’ai évacué le problème comme suit. Evacuer, mais pas effacer, vous avez bien vu. L’auteur fait une sorte de fixette sur la société de consommation, l’enfant victime de la publicité et du marketing. Ce que j’entends, sans souci, d’autant plus aujourd’hui, près de 14 ans après la parution de cet écrit. Mais je n’ai pas réussi à cerner tout ce que l’auteur en faisant découler, ça manquait de sens pour moi, et, se situant sur la fin de l’essai, ça a presque failli me laisser sur une note en demi-teinte. Presque. Car ça reste un presque 10/10 cette lecture !
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Quelques citations
◊ Je ne crois pas qu’on puisse concevoir autrement le métier de professeur. Tout le mal qu’on dit de l’école nous cache le nombre d’enfants qu’elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l’ignorance ou du fatalisme des familles.
◊ Plus que tout, certains profs me reprochaient cette gaieté. C’était ajouter l’insolence à la nullité. La moindre des politesses, pour un cancre, c’est d’être discret : mort-né serait l’idéal.
◊ Il n’y a pas plus étanche que le chagrin pour faire écran au savoir. Le rire, on peut l’éteindre d’un regard, mais les larmes…
◊ Ca fait du bruit, une pensée, et le goût de lire est un héritage du besoin de dire.
◊ Le jeu est la respiration de l’effort, l’autre battement du cœur, il ne nuit pas au sérieux de l’apprentissage, il en est le contrepoint. Et puis jouer avec la matière c’est encore nous entraîner à la maîtriser. Ne traitez pas d’enfant le boxeur qui saute à la corde, c’est imprudent.
•Plaisir de lecture : 9,75/10•