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Des fois je me dis que je suis pas très nette comme nana. Je me répète à longueur de temps, que le problème des réseaux sociaux, c’est qu’il y a un côté cercle vicieux, où les gens qui ont une certaine vision du monde sont sans cesse confrontés à des personnes qui ont la même vision qu’eux, donc il n’y a plus confrontation justement. On alimente leur idée avec ce qu’ils pensent être une vérité, et on ne leur permet pas de réfléchir autrement. Bref, ceci est une de mes réflexions donc. Et ben vous savez ce que j’ai fait ? Moi, la sceptique qui éprouve une certaine méfiance envers la vibe développement personnel ? J’ai acheté un essai qui s’appelle Contre le développement personnel. Y’a pas que son auteur qui est Jobard apparemment…
La quatrième de couverture
La mode du « développement personnel » ne se dément pas. Sans cesse, nous subissons une injonction à nous libérer de nos croyances limitantes et à acquérir un « surplus d’être » pour devenir un meilleur individu. Bien sûr, on pourrait penser qu’il n’y a là que de bonnes intentions : qui refuserait une version améliorée de soi-même ? Mais derrière les discours sucrés et inoffensifs, c’est à la montée d’une idéologie politique que l’on assiste. Car la forme de bien-être promise par le développement personnel constitue trop souvent une exploitation de soi par soi… Dans ce monde merveilleux, tout tourne autour de cet axiome : quand on veut, on peut. Et si on ne peut pas, c’est qu’on ne veut pas assez. Le collectif disparaît de l’écran pour ne laisser que des individus responsables de tout à 100 % : de leur destin, de leur emploi, et même de leur santé ! C’est à cette vaste supercherie que s’en prend ici Thierry Jobard, preuves à l’appui…
« Le développement personnel est probablement l’une des plus belles inventions de notre temps. Il serait injuste de ne pas reconnaître les bénéfices qu’il procure et de ne pas lui accorder l’attention qu’il mérite. C’est justement l’objet de cet ouvrage : prendre le développement personnel au sérieux. »
Mon avis
Il est vrai que j’ai eu tort de choisir une telle lecture, qui allait à coup sûr, m’enfermer dans une vision peu joyeuse du développement personnel (DP comme l’écrit l’auteur) que j’avais amorcée. Cependant, aucun regret, parce que, de un, c’est extrêmement agréable que de lire des trucs qui corroborent votre première impression sur un sujet (aaah le plaisir de se dire « j’ai raison ». Je crois que je comprends mieux les personnes qui se complaisent dans les sites de complotistes à deux balles. Un peu.). Et parce que, de deux, ça me donne de vrais arguments un peu plus élaborés que mes « j’aime pas le DP, je le sens pas ce truc ».
J’aurais bien envie de retranscrire l’entièreté du livre pour être sûre de ne déformer aucunement la pensée de son auteur. Sauf que, bien qu’étant un mini-essai, faire une chose pareille se révèlerait sacrément inutile, et proche du délit de contrefaçon pour violation des droits d’auteur.
je vais pas vous mentir, bien que cet essai fasse moins de 100 pages, ma lecture m’a demandée une sacrée concentration. Je n’emploierai pas le terme de laborieux (et c’est précisément ce que je fais pourtant, je sais qu e c’est une figure de style qu’on apprend en classe de français en seconde ça), l’auteur essaie de faire au plus clair, mais je pense qu’avoir certaines bases en sociologie et/ou philosophie doit aider. J’ai vu passer de nombreux noms et préceptes effleurés durant mes cours de Culture Gé y’a trois ans, donc j’arrivais parfois à situer. Toutefois, j’ai surtout béni les exemples concrets que l’auteur prend soin de distiller ici et là. Sans oublier son humour, parce que, qu’est-ce que serait la vie sans humour pas vrai ?
Mon article n’est pas là pour vous développer en détail le fil de l’essai, déjà parce que cela serait bien prétentieux de ma part de m’en sentir capable, et surtout parce que je vous invite à le lire si le sujet vous interroge. Ca vaudra tous les résumés du monde, croyez-moi. Après, comme ce blog a quand même une visée « cahier de lectures » pour votre dévouée serviteuse, je vais quand même balancer quelques phrases pour me souvenir du contenu de cet essai, quand je relirai mon propre article (et croyez-moi, ça arrive plus souvent que vous ne l’imaginiez. Prochain opus à lire : Les dérives du Narcissisme).
Le DP est au des outils au service du néolibéralisme, avec le management qui touche plus précisément le monde de l’entreprise. Pourquoi ? Parce que la recherche perpétuelle d’un soi-disant Moi meilleur, qu’on le veuille ou non, ça répond à une injonction. Injonction que l’on croit interne à soi-même, et non plus issues des institutions voire de la société. Alors qu’en vérité, cette injonction, elle n’est propre à personne, puisque tout le monde cherche à s’appliquer la même. Et puise notamment cette idée d’idéal à atteindre dans… les bouquins de DP. C’est assez paradoxal quand on y pense, que le DP qui se veut la clé pour devenir soi, vous fasse miroiter un idéal inatteignable puisqu’on est censé toujours pouvoir se perfectionner. On croit s’être débarrassé des diktats extérieurs, mais c’est pire, parce qu’on les a simplement assimilés à tel point, que c’est nous-même qui nous imposons désormais ce vers quoi on est supposé tendre. L’injonction d’être heureux. C’est de l’auto-soumission, ni plus ni moins. Et c’est en ça que le DP rejoint, voire alimente, les logiques managériales : en supprimant le vocabulaire habituel de la hiérarchie et de l’ordre, on fait croire que celle-ci et celui-ci ont disparu. Alors que non, simplement par notre volonté d’être toujours perfectible, et notre propre injonction à s’épanouir au travail, que fait-on ? On devient cet employé modèle, qui fait mine de se sentir tellement à l’aise avec ses collègues et ses managers, au point d’exécuter des ordres qu’on n’a même plus besoin de lui dire. Pas mal hein ?
Alors oui, la positivité dans la vie, il en faut, c’est certain. Moi la première, j’apprécie les moments où je vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Mais comme tout dans ce bas-monde, la modération doit rester de mise parfois. L’auteur conclut brillamment là-dessus : un homme, Fred, était féru de cette Pensée positive. Il trainait partout son fils à toutes les conférences s’y rapportant. Ca a plutôt bien réussi au fils, qui est devenu le quarante-quatrième président des Etats-Unis d’Amérique. Le versant de la médaille, c’est que ce même fils a par la suite refusé d’admettre sa défaite aux élections de novembre 2020, et qui refuse toujours d’admettre des faits scientifiques, en prônant sa propre vérité. Allez, faites un effort, je sais que vous avez son nom sur le bout de la langue.
Quelques citations
◊ Le calcul est simple et paraît de bon sens. Parce que je suis bien, je fais le bien autour de moi, et si tout le monde fait comme moi, tout le monde ira bien. C’est simple, c’est beau, c’est faux. On perçoit d’emblée le paradoxe qui gît dans les deux affirmations contradictoires : être autonomes et vouloir créer du lien.
◊ La spiritualité du DP entend elle aussi ne garder que le « meilleur » des religions et des traditions et se débarrasser de leurs traits les plus contraignants. Elle les vide de toutes leurs spécificités culturelles, historiques et sociales pour en faire des produits aisément exportables, « laïcisés », neutralisés. Pour le dire en un mot, c’est la religion de la laïcisation.
◊ C’est faire fi de tout un pan de notre histoire et de notre psyché que de penser que nous sommes sans failles, sans vides, sans faiblesses et de les nier, nous aveuglant ainsi sur nous-mêmes. Il faut au contraire faire avec, vivre avec.
•Plaisir de lecture : 9/10•
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